[interview] Climat : "Les entreprises connaissent la ligne directrice. À chacune de se fixer des objectifs"

[interview] Climat : "Les entreprises connaissent la ligne directrice. À chacune de se fixer des objectifs"

03.12.2018

Environnement

Alors que s'ouvre aujourd'hui la COP 24, Guillaume Bonnentien, expert climat chez EcoAct, invite les entreprises à se fixer des objectifs compatibles avec l’accord de Paris et à ne pas négliger les risques engendrés par le changement climatique. Et pour passer des objectifs aux résultats, il détaille plusieurs leviers possibles, rappelant que “se poser toutes ces questions peut aussi déboucher sur des opportunités”.

La 24e COP (conférence des parties) s'ouvre aujourd'hui, lundi 3 décembre 2018, en Pologne. Elle durera jusqu'au 14 décembre, dans un contexte où les scientifiques viennent une nouvelle fois de tirer la sonnette d’alarme, avec un rapport du Giec qui appelle à un sursaut international. Du côté des entreprises, certaines commencent à vraiment se demander comment elles peuvent s’approprier des projets vertueux et évaluer l’impact de leur activité.

DRLa société de conseil EcoAct qui accompagne des entreprises perdues face à ces questions a noté pour la 2e fois en septembre, les performances climat des entreprises du CAC 40, à partir de 79 critères et en s’appuyant sur des données publiques issues de reporting extra-financiers.

Elle les compare ensuite avec trois autres indices mondiaux : FTSE 100 (Londres), Ibex 35 (Madrid) et DOW 30 (New York). Le groupe PSA chipe ainsi cette année le leadership à Schneider Electric et se classe 6e ex æquo au niveau international. Le constructeur automobile est récompensé pour ses efforts de “transition vers une économie sobre en carbone”. Veolia prend la 2e place grâce notamment à sa politique d’achat et à sa capacité à évaluer ses fournisseurs.

► Guillaume Bonnentien est expert “villes, territoires, énergie et changement climatique” chez EcoAct. Il plaide pour que les entreprises se fixent un niveau d’ambition en fonction de leur potentiel, de leur maturité et de leur secteur d’activité.

 

Tout le monde connaît à présent le message des scientifiques sur le climat. Que nous a appris l'énième rapport du Giec présenté début octobre ?

Guillaume Bonnentien : Il répond en particulier à une demande des États insulaires menacés par la montée des eaux. Le but de cette étude était de comprendre comment concrètement passer d’un scénario +2°C à un scénario à +1,5°C. Ce qu’il faut bien intégrer, c’est que chaque dixième compte. Le changement climatique a déjà des conséquences visibles mais chacune d’elles peut être aggravée si l’on ne fait pas cet effort supplémentaire. Ce demi-degré, c’est une élévation de la mer de 10 cm donc 10 millions de personnes impactées en plus. C’est une multiplication par deux des pénuries d’eau, ou encore la fonte de 1,5 à 2 millions de kilomètres carrés supplémentaires de pergélisol, et donc un risque d’emballement du fait du méthane qu’il séquestre.

Un message une fois de plus déprimant…

Guillaume Bonnentien : Oui et on pourrait continuer cette liste, mais ce rapport nous dit aussi qu’on peut y arriver. À condition que la transition soit rapide et de grande envergure, c’est-à-dire en se posant à la fois les questions de la consommation d’énergie, du transport, du bâtiment et de l’agriculture. Les émissions mondiales doivent diminuer de 45 % d’ici 2030 (par rapport à 2010) et il est urgent d’aller au plus vite vers la neutralité carbone. Un travail que nous avons conduit avec WWF montre que sur les dix plus grandes métropoles françaises, il faudrait doubler ou tripler les efforts.

Et du côté des entreprises, on entend des discours volontaristes, mais qui tardent à se concrétiser. Comment s’inscrire dans la transition ?

Guillaume Bonnentien : Elles connaissent la ligne directrice. À chacune de se fixer un niveau d’ambition en fonction de son potentiel, de sa maturité et de son secteur. Par exemple en s’appuyant sur l’initiative internationale Science Based Target (SBT) qui évalue les entreprises qui le demandent pour savoir si leur stratégie est suffisamment ambitieuse. Sur les 38 qui ont participé à la démarche en France, seules dix ont vu leurs objectifs acceptés. Comme l’Oréal qui a déjà réduit ses émissions de 67 % entre 2005 et 2016 et entend faire un nouvel effort avec - 25 % entre 2016 et 2030. C’est possible.

Chez Ecoact, vous avez parallèlement réalisé une étude mondiale sur les grands groupes…

Guillaume Bonnentien : Avec des scores qui s’améliorent d’année en année. Pour les groupes du CAC40, c’est PSA qui sort en tête de nombreux reportings extra-financiers. Il entend réduire son impact de 55 % entre 2012 et 2035, en jouant sur l’énergie grise nécessaire à la fabrication des véhicules, mais aussi sur leur poids ou leur motorisation. Ce qui est intéressant est le périmètre pris en compte. PSA s’attaque bien aux émissions directes et indirectes – ce qu’on appelle dans le jargon des bilans carbone le scope 3. C’est la voie à suivre pour l’ensemble du secteur privé.

N’est-il pas paradoxal de couronner une société qui vend des voitures individuelles qui ne symbolisent pas forcément l’avenir de la mobilité ?

Guillaume Bonnentien : Les groupes du même secteur ne se sont pas forcément fixé des objectifs aussi ambitieux. On peut toujours en faire davantage et peut-être certaines entreprises doivent-elles changer de modèle, mais s’il existe une demande, elles continueront à produire. Et comme Veolia et Danone qui arrivent deuxième et troisième de notre classement, PSA se fixe des objectifs en accord avec ce que demandent les scientifiques.

Pour une entreprise lambda, comment passer des objectifs aux résultats ?

Guillaume Bonnentien : Il y a beaucoup à faire sur les bâtiments, l’optimisation des processus industriels, le développement des énergies renouvelables… À court terme, on peut par exemple signer des contrats verts pour s’approvisionner en électricité ou en gaz. Sur le transport, il est important de revoir ses schémas logistiques pour ne plus avoir recours au transport aérien, limiter le transport routier et améliorer les taux de remplissage des véhicules… On doit enfin exiger davantage de ses fournisseurs et anticiper l’impact lié à l’usage des produits.

Voilà pour la panoplie de mesures, mais comment être sûr qu’elles nous mettent sur la bonne trajectoire ?

Guillaume Bonnentien : Le diagnostic initial est essentiel. En France, la réglementation impose d’ailleurs aux structures de 500 salariés de faire des bilans de gaz à effet de serre. Pour se fixer des cibles et mobiliser ses salariés dans le temps, on peut aussi s’appuyer sur des méthodologies de comptabilité carbone ou sur des normes comme l'ISO 50001. Enfin, n’oublions pas la deuxième dimension du changement climatique qu’est l’adaptation. Les inondations ont un impact sur le prix de l’immobilier. Des arrêts temporaires de l’alimentation en eau ou en électricité peuvent peser sur l’activité. Et les pics de chaleur réduisent la productivité tout en générant de l’inconfort et des risques professionnels.

Même quand on en a conscience, que faire de ces informations ?

Guillaume Bonnentien : Anticiper. Par exemple en travaillant sur la conception des bâtiments pour ne pas que les besoins de fraîcheur fassent exploser les dépenses de climatisation, ce qui impacterait au passage le bilan de gaz à effet de serre de l’entreprise. Attention en outre à l’emplacement de ses salles informatiques ou des chaudières sur le volet inondation ou à la sécurité de l’approvisionnement dans l’agroalimentaire. Mais rassurons-nous : si l’on parle beaucoup des risques, se poser toutes ces questions peut aussi déboucher sur des opportunités.

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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Olivier Descamps
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